DOCUMENTATION


L'histoire des Vermiraux

Lieu-dit de la commune de Quarré-les-Tombes (Yonne), les Vermiraux ont accueilli dès 1882 un institut sanitaire pour le redressement physique et intellectuel des anormaux, nerveux, arriérés, rachitiques et instables des deux sexes. Les fillettes étaient, elles, accueillies à La Pierre-qui-Vire. En 1890, l’établissement accueille des pupilles de l’Assistance publique venant de différents départements.

En 1908 – 1909, l’établissement des Vermiraux accueille 120 enfants divisés en colons (issus des tribunaux), assistés, anormaux et débiles placés par les familles.

Très rapidement, les conditions de vie des enfants se dégradent, devenant intolérables et inhumaines. Dès 1909, éclate l’affaire du gardien Paul Laresche (36 ans) qui pratique des actes de pédophilie sur les enfants. A la Ferme de La Pierre-qui-Vire où sont accueillies les filles, des ballets roses sont organisés par Armand LANDRIN, en charge de l’établissement avec madame SOLIVEAU, directrice.

Le 5 mars 1909, les enfants déposent une plainte collective pour les mauvais traitements subis. La révolte des enfants éclate aux Vermiraux, le 2 juillet 1910. Le Procureur lance d’abord une instruction à l’encontre des jeunes pensionnaires en colère. Gendarmes, Préfet, maire et procureur vont alors se déplacer aux Vermiraux et découvrir les conditions de vie des enfants de l’établissement. L’instruction durera un an. Le procès s’ouvre alors au tribunal d’Avallon le 18 juillet 1911 pour durer cinq jours; il sera largement couvert par la presse

L’Affaire des Vermiraux demeurera exemplaire en raison des condamnations prononcées : 3 ans de prison pour madame Soliveau et 2 ans pour Armand Landrin.

Comment a pu perdurer la » surviolence » physique et psychologique aux Vermiraux, au vu et au su de multiples personnes (des inspecteurs aux habitants), pendant plusieurs années ?
_________________________________________________


Extrait du journal de Mathieu Tamet

A midi 1⁄2 je me rends au Palais de Justice où je suis appelé comme témoin dans l’affaire des Vermireaux. Il y a foule, mais beaucoup de personnes ne peuvent entrer : il faut avoir une carte du Président. Après l’appel des témoins qui sont renvoyés à demain ou à après-demain, un certain nombre d’auditeurs trouvent moyen d’entrer au tribunal. Moi, je fuis ces lieux en compagnie des Dr Poulaine et Ruais et de M. Marois, Inspecteur de l’A. P. de l’Yonne ; nous allons boire 2 ou 3 bocks, puis chacun rentre chez soi. Je me suis trouvé en compagnie d’un Sous-Inspecteur de la Côte d’Or qui nous a narré des histoires extraordinaires sur les mœurs du père Landrin, qui aurait emmené chez lui, pendant 15 jours, une pupille de la Côte d’Or et l’a renvoyée à Paris chargée de présents : la malheureuse fille était, paraît-il, avariée et a dû communiquer sa maladie à ... ! Il nous a dit que chez L... on photographiait les Filles toutes nues pour en faire des cartes postales, etc. (…) Si tous les faits reprochés aux inculpés sont établis et prouvés, il faut espérer que Justice sera faite et qu’ils seront condamnés sévèrement. Il ne doit pas être permis d’exploiter et de brutaliser l’enfance même coupable.

M TAMET maire

Mathieu Tamet (1858-1936) a été directeur de l'agence d'Avallon des enfants assistés de la Seine de 1896 à 1919 et Maire d'Avallon de 1912 à 1919
www. mathieu-tamet.fr
_______________________________________

Enfants d’outre Tombes

Par Didier Arnaud(liberation) — 2 juillet 2011.
http://www.liberation.fr/societe/2011/07/02/enfants-d-outre-tombes_746595

En 1911, à Quarré-les-Tombes dans le Morvan, des orphelins de l’Assistance publique maltraités et exploités, se rebellent contre leur institution.
Un procès à sensation condamnera leurs tortionnaires. Mais l’histoire a vite été oubliée, jusqu’à son exhumation récente par la fille d’une des victimes.

Le jour où sa mère est morte, Marie-Laure Las Vergnas, 57 ans, adepte des courses de fond, s’est mise à explorer les archives du Morvan pour retrouver son histoire restée mystérieuse. A force de fouiller dans les souvenirs, elle est tombée sur l’affaire de l’orphelinat des Vermiraux. Un monstrueux «fait divers» du début du XXe siècle : des orphelins battus, violés, exploités, certains tués, et qui se sont révoltés contre, l’Assistance publique, leur tortionnaire.

Avec son frère Olivier, Marie-Laure Las Vergnas a méthodiquement retourné les armoires et les malles pour connaître les secrets de sa mère. L’histoire tenait dans un carton sur lequel était inscrit : «Tome 4 à 8, 1912 à 1915». Ils y découvrirent 37 cahiers d’écoliers écrits durant trois ans. L’auteur de ces 5 000 pages recouvertes d’une écriture serré est Mathieu Tamet (1), responsable de l’Assistance publique pour la région d’Avallon, dans l’Yonne. Il est aussi l’arrière-grand-père de Marie-Laure Las Vergnas.

Mathieu Tamet y évoque son témoignage déposé au tribunal correctionnel d’Avallon, le 18 juillet 1911, lors du «procès des Vermiraux», où furent condamnées plusieurs personnes. Les Vermiraux, c’est le nom d’un lieu-dit, devenu un institut «éducatif et sanitaire» de l’Assistance publique, qui accueillait au début du siècle plus d’une centaine d’enfants et d’adolescents. Des gosses abandonnés, trouvés, orphelins, pauvres, délinquants, ou tout ça à la fois.

Marie-Laure Las Vergnas, sur le seul témoignage de son ancêtre, a deviné derrière les mots une histoire insensée. D’abord la condamnation, inédite à l’époque. Pour la première fois, des adultes ont été envoyés en prison pour corruption associée à des violences collectives faites à des enfants. Violences ? Le mot est faible. Il s’agissait de travail forcé, de viols, de prostitution. Et de maltraitance ayant entraîné la mort pour un certain nombre de jeunes victimes.

Marie-Laure a retrouvé les Vermiraux, une bâtisse située à deux heures trente de Paris par l’autoroute A6 et à 1 500 mètres de la place centrale du village de Quarré-les-Tombes, 2000 habitants à l’époque, 732 aujourd’hui.

Moins bien nourris que des animaux

Aujourd’hui, Quarré-les-Tombes est un petit village typiquement morvandiau, avec son hôtel-restaurant, son salon de coiffure Coupe au quarré, son café, le Quarré crème. La maire du village, comptable, s’appelle Sylvie Soilly. Son mari, Régis, est un agriculteur aux yeux bleus, bientôt à la retraite. Il nous accueille devant la mairie, des dossiers sous le bras. Des «documents» sur les Vermiraux. Derrière les poireaux et les salades de son potager, vallonnent bosquets, forêt de conifères, des arbres de rapport qui ont remplacé les beaux hêtres et les chênes qui poussaient jadis.

Le jour où Régis a vu Marie-Laure Las Vergnas arriver sur son vélo, avec sa tête de «Parisienne» - ici, on dit «les doryphores» en référence aux bestioles qui attaquent les pommes de terre - il était un peu éberlué. Quand elle a interrogé les habitants sur la maison des Vermiraux, ils ont ouvert des yeux grands comme des billes ou ont préféré passer leur chemin pour montrer leur indifférence. Personne ne savait rien, n’avait rien entendu. On ne se souvenait pas.

Puis un jour, Marie-Laure a découvert l’histoire : un voisin, chez qui Régis allait souvent faire un peu de jardinage, lui a rapporté un document trouvé dans son grenier, qu’il tenait d’un ancêtre greffier à Avallon. Une pièce importante : le réquisitoire du procureur Grébault dans l’affaire des Vermiraux. On y trouvait, dans le détail, toutes les horreurs vécues par les pensionnaires du foyer.

Aujourd’hui, l’ancien institut éducatif est une demeure bourgeoise aux volets clos, occupée par un historien d’art bulgare spécialiste du peintre Malévitch. A l’intérieur du bâtiment subsistent le grand escalier et les coursives menant aux dortoirs dont les portes battantes ne s’ouvraient que dans un sens pour empêcher les fugues. Dans la cour, un puits, dont certains affirment qu’il ne faudrait pas aller chercher profond pour y trouver des cadavres.

Régis fait le guide dans son pick-up hors d’âge jusqu’à l’étang de Mont. Un endroit magique et effrayant, où les filles de l’institut des Vermiraux venaient «faire» le linge. Régis conduit jusqu’à la ferme de Mont, l’annexe des Vermiraux, encore plus paumée au milieu des champs, dont il ne reste que quelques pierres. Au début du XX
e siècle, plus de 4 000 enfants étaient placés dans le secteur sud d’Avallon, dont plusieurs centaines dans l’institut de Quarré-les-Tombes.

Les enfants étaient moins bien nourris que des animaux. La quantité d’aliments était insuffisante et la viande, rare, était souvent pourrie. La soupe avait un goût «détestable, sentant le purin», lit-on dans le réquisitoire. Les vêtements ? Des sabots et des guenilles. Un témoin, cité au procès, raconte : «Une personne arrivant là, non prévenue, se serait crue sur l’île de Robinson Crusoë.» Les dortoirs ? Il y avait moins de lits que de pensionnaires : 71 pour 88. Ceux des «incontinents» étaient faits de paille jamais changée. Un jour, le directeur de la circonscription de Melun recule à la porte du dortoir tant l’odeur est infecte. Lorsque le dortoir fut fermé,«on mit les pupilles qu’il contenait dans l’écurie des vaches, […] on les envoya ensuite à Mont, d’où ils ressortirent trois mois plus tard dans un état épouvantable avec la teigne, la gourme, des feux et […] des plaies sur le corps.» Un autre témoin : «Ces enfants n’avaient plus rien d’humain. Ils étaient une dizaine contre le mur, rampants, sales, décharnés, à moitié vêtus.»

Quand ils se tiennent mal, les orphelins sont punis, enfermés pendant plusieurs jours dans une grange. L’un d’eux, qui avait pris froid, est mort d’une infection. Beaucoup veulent s’évader. «Ils préfèrent croupir en prison plutôt que de rester dans les dortoirs.»

Certains meurent sans avoir jamais reçu de soins. «Ces enfants, a expliqué le docteur Martin, médecin de l’institut entendu par le juge d’instruction, n’ont reçu aucun soin en raison du vide de la pharmacie et de la nécessité où je me trouvais de ne pas faire de frais.»

Un des gardiens, Paul Laresche, profitait de sa fonction pour s’adonner à ce que le Journal, publication de l’époque, avait dénoncé comme des «messes noires». Il abusait sexuellement de nombreux enfants. Les plus faibles surtout. Certains se sont suicidés. D’autres morts d’épuisement. «Je n’ai pu m’empêcher, a témoigné Madame Cormier, gardienne à l’hospice d’Avallon, d’être indignée par l’état lamentable dans lequel le jeune Bisson, 8 ans, se trouvait. Son corps, à partir de la ceinture jusqu’aux pieds, était couvert de plaies, d’ulcères, d’abcès. Il était d’une maigreur squelettique et on l’avait amené à Avallon pour qu’il ne mourût pas aux Vermiraux.» Un jour, les enfants se sont révoltés. Ils mettent le foyer à sac. Quand arrivent les autorités, ils parlent. Marie-Laure parcourt le réquisitoire, abasourdie : comment cette histoire a-t-elle pu rester méconnue ?

«L’économie du secret»

En 2004, Emmanuelle Jouet, compagne d’Olivier - le frère de Marie-Laure - prépare une thèse en science de l’éducation sociale. Cette grande femme brune accompagne Marie-Laure lorsque elle interroge les habitants. Même réponse, un unique souvenir devenu une expression locale : «Si tu n’es pas sage, t’iras aux Vermiraux.» La thèse d’Emmanuelle Jouet tient en trois tomes de plus de 900 pages (2). Plusieurs années de travail, qui l’emmènent tard dans la nuit : «Je ne pensais pas que cela soit possible. Pour moi, l’institution protège. Je n’avais jamais rencontré une telle violence institutionnelle», dit-elle.

Emmanuelle Jouet met à jour«une économie du secret» dont tout le monde profitait, et que personne n’a jamais dénoncée. Selon elle, les bénéficiaires, et ceux qui avaient «intérêt» à se taire étaient nombreux. Jean Legros, ancien maire des Vermiraux, 93 ans aujourd’hui, raconte : «Personne n’avait honte, puisque tout le monde en profitait.» Un bon résumé. Tout le monde vraiment ? Les «Thénardier» de Quarré - un certain Alexandre Landrin (le placier) et Louise Soliveau (la patronne) - touchaient l’argent de l’Etat pour accueillir les pupilles, qu’ils sous-louaient ensuite, à bon marché, aux paysans qui les envoyaient aux champs.«Les enfants étaient mieux dans les fermes qu’aux Vermiraux», estime l’ancien maire. 

Cet enrichissement personnel se doublait d’une gestion dont tout le village, ou presque, a bénéficié : l’épicier refilait à l’institut ses invendus et ses produits avariés ; parce qu’il fermait les yeux, l’instituteur, qui avait pourtant dans sa classe des enfants chétifs et battus, avait droit à un panier d’œufs et à des poules ; le menuisier, qui fabriquait tant de petits cercueils, ne s’est jamais non plus ému : son commerce était florissant ; quant aux gardiens, s’ils bronchaient, ils étaient virés.

Les inspecteurs qui venaient aux Vermiraux ne voyaient rien. Eux non plus. Avertis plusieurs jours avant leur passage, les «Thénardier» s’arrangeaient toujours pour présenter à l’administration les pensionnaires les plus gaillards et ce jour-là, on servait une pitance acceptable. Quand à l’administration, à Paris, elle se satisfaisait de placer ses «petits». C’est loin de la capitale, le Morvan. A l’époque, on mettait la misère à distance. «Paris ne voulait pas de vagabonds ni d’enfants à l’abandon visibles dans les rues de la capitale» explique Emmanuelle Jouet. Les Vermiraux étaient «un débarras».

Le tribunal est situé en face de l’entrée de l’église, dans une grande bâtisse qui sera bientôt vendue, détruite et transformée en appartements. Depuis le procès, l’endroit n’a pas changé. En juillet 1911, il y avait foule. D’après la Petite République, Madame Soliveau, «la Thenardier», s’y présente «toute vêtue de noir. Elle porte d’énormes solitaires aux oreilles. Un lourd sautoir d’or s’étale sur son corsage. Les yeux abrités sous un large pince-nez sont dépourvus de cœur. Elle répond d’une voix brève, comme si elle donnait des ordres, au président. […]"On dirait que j’ai commis un crime. Tout cela est faux", dit-elle.» Le président lui rétorque que sa maison est une «honte». Alexandre Landrin, «très élégant sous sa redingote noire, barbe longue, bien peignée, a l’air plutôt sympathique». Il a détourné plus de 150 000 francs de l’époque. Au procès, il fait jouer tous ses appuis, nombreux, pour clamer qu’on ne peut pas faire confiance à des enfants mineurs et de peu de foi.

MME SOLIVEAU

Pourtant, pour la première fois dans l’histoire, la parole d’enfants est entendue, et des condamnations tombent. Trois ans fermes pour Louise Soliveau, et 2 000 francs d’amende. Deux ans pour Alexandre Landrin et 2 000 francs d’amende…

Lors de la révolte des enfants, et plus tard pendant le procès, la presse nationale était venue en nombre et des envoyés spéciaux (le Petit Journal, le Figaro, l’Eclair) avaient câblé leurs articles depuis Avallon. Mais le jugementfut vite balayé par la guerre de 1914 : les orphelins des Vermiraux, comparés aux nombreux morts inscrits sur le monument, étaient passés aux oubliettes de l’histoire. Landrin, ayant un fils au front, verra même sa peine amnistiée. La «Thénardière», elle, reviendra au pays sans dommages faire admirer ses bijoux à la messe dominicale. Ces années-là, au village de Quarré, on murmure qu’elle n’est pas sans le sou. «Mon père m’a dit un jour : "Il faudrait aller trouver Madame Soliveau, elle a un bon sac de pièces d’or." Elle était considérée comme une bourgeoise, une des plus riches du coin», se souvient Jean Legros.

Une histoire qui résonne

Restait le plus important : faire connaître l’affaire. Le 9 avril 2005, Emmanuelle Jouet organise une conférence de «restitution» dans la salle la mairie de Quarré-les-Tombes. A la fin, un homme se lève : «Maintenant, je sais d’où je viens.» D’autres, en chœur : «Tout le monde le savait ! Comment ça se passait aux Vermiraux ? Tout le monde le savait ! Aussi bien les maires, que les gendarmes, que le curé, tout le monde le savait, personne ne disait rien.»

Une femme approche et remercie Emmanuelle : «Vous avez soulevé une chape de plomb, on m’interdisait d’en parler !»

Un siècle plus tard, cette «exhumation» ne rencontre plus d’opposition massive et Emmanuelle Jouet a trouvé une oreille attentive chez les politiques locaux et de l’argent pour monter son projet : une pièce de théâtre devenue par la suite un livre (3). Le metteur en scène Serge Sandor a été enthousiasmé par l’idée. Tous deux s’interrogeaient : «Y a t il un changement dans la violence exercée dans les institutions?» Sandor a tenté de monter une pièce avec des pensionnaires de foyers d’accueil de l’Assistance publique, des Quarréens, ou des prisonniers. Chacun des protagonistes a participé à un atelier d’écriture.

L’histoire des Vermiraux résonne auprès de nombreux habitants du Morvan, issus de l’Assistance publique. «Les Vermiraux révèlent les travers systématiques dans lesquels nos sociétés peuvent tomber en confiant, officiellement dans le but de les éduquer, des groupes de miséreux dont elles veulent débarrasser leurs cités à des philanthropes privés», écrit Olivier Las Vergnas dans la postface du livre.A force de chercher, sa sœur a finalement élucidé l’histoire familiale : leur mère venait de l’assistance publique. Elle fut l’un des milliers d’enfants envoyés dans le Morvan dont il ne reste aucune photo, aucun visage.

(1) www. mathieu-tamet.fr (2) «La Révolte des enfants des Vermiraux», éditions L’œil d’or. (3) «Les Enfants des Vermiraux», édition les cygnes.



POUR GAGNER